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Le documentaire Forest for the Trees témoigne à la fois de la beauté et de la difficulté du travail de planteurs d’arbres

Tout le monde n’est pas fait pour être planteur d’arbres. Comme le montre le nouveau film documentaire Forest for the Trees, réalisé par la photographe de guerre chevronnée et ancienne planteuse Rita Leistner, il s’agit d’un métier pénible, solitaire et rémunéré au nombre d’arbres plantés. Néanmoins, le temps, l’espace et l’exercice physique que requiert la plantation d’arbres sont précisément ce que recherchent les personnes attirées par ce travail pour surmonter des épreuves morales, découvrir un sentiment d’appartenance et voir ce dont elles sont réellement capables.

Stephanie Sinclair est l’une de ces personnes. Adjointe à la réalisation et participante du film, elle a passé deux ans à planter des arbres alors qu’elle se remettait des séquelles de l’automutilation. Au cours de cette période, Stephanie a planté plus de 250 000 arbres.

La première internationale du documentaire Forest for the Trees sera diffusée au festival DOC NYC aujourd’hui à compter de 18 h 45. Après le visionnement, une période de questions et réponses aura lieu avec Mme Leistner, Mme Sinclair et la conceptrice du son, Chandra Bulucon. En octobre dernier, un livre d’accompagnement de 250 pages contenant 160 photographies en couleurs prises par Mme Leistner a été publié.

Nous nous sommes entretenus avec Rita et Stephanie au sujet de l’esthétique particulière du film, des difficultés à surmonter pour convaincre une équipe de planteurs sceptiques, et des émotions suscitées par ce retour sur les lieux de coupe avec une caméra au lieu d’une pelle.

Cette première internationale au DOC NYC fait partie de la série Voices of Canada parrainée par le Consulat général du Canada à New York.

« Rita Leistner » par Rita Leistner

Quel effet cela vous fait-il de figurer dans la première mondiale d’un documentaire?

Stephanie : C’est un sentiment génial. J’ai l’impression que j’attends ce moment depuis longtemps, donc je me réjouis de voir que tout devient réalité. Retourner dans cet univers en adoptant une perspective créatrice m’a permis de voir le travail sous autre angle. En effet, les jours passés sur un lot de coupe sans avoir à planter d’arbres m’ont fait découvrir la façon de voir d’un artiste. Je suis très reconnaissante d’avoir vécu cette expérience.

Retourner dans cet univers en adoptant une perspective créatrice m’a permis de voir le travail sous l’angle d’un artiste. Je suis très reconnaissante d’avoir vécu cette expérience. ~Stephanie Sinclair

Au départ, qu’est-ce qui vous a incitée à planter des arbres?

Stephanie : J’ai toujours été heureuse de me trouver à l’extérieur. Dans mon enfance, je faisais du camping et du cyclotourisme avec ma famille. À l’université, je cherchais un emploi qui me permettrait de travailler à l’extérieur. En y repensant, c’était risqué de m’envoler seule pour la Colombie-Britannique pour un emploi dont j’ignorais la plupart des détails.

De nombreux planteurs affirment que le travail les transforme et qu’il leur permet d’en apprendre beaucoup sur eux-mêmes. Était-ce le cas pour vous?

Stephanie : J’ai beaucoup appris à propos de l’éthique de travail. Le travail avec Rita m’a aussi beaucoup appris au sujet de la vie. Ce qui m’impressionne le plus chez elle, c’est à quel point elle respecte les autres et les écoute. Selon moi, c’est la raison pour laquelle le film est devenu ce qu’il est. Là où nous étions, il y avait des gens de milieux différents et elle a pris le temps d’apprendre à les connaître. Elle est tout à fait authentique.

Les planteurs travaillent seuls durant des heures dans des endroits isolés et ne côtoient que d’autres planteurs. Comment une communauté se forme-t-elle?

Tout le monde affronte ensemble des épreuves très difficiles durant des mois. Cela arrive rarement au cours d’une vie. Vous pouvez vivre la plus horrible des journées et les gens autour de vous vous comprennent entièrement. L’esprit de communauté repose sur cette empathie.

La 26e Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques vient de prendre fin. Comment les planteurs perçoivent-ils leur travail dans le contexte des changements climatiques et de la durabilité environnementale?

Stephanie : Les planteurs d’arbres en parlent beaucoup. Certains d’entre eux font ce travail en tant qu’environnementalistes qui souhaitent porter secours à la planète, mais ils deviennent vite pessimistes en se rendant compte qu’ils aident plutôt l’industrie forestière. À l’heure actuelle, les préoccupations sont grandes en ce qui concerne l’exploitation des forêts anciennes en Colombie-Britannique. À mon avis, l’industrie devrait laisser ces écosystèmes intacts et couper les arbres que j’ai plantés à la place. Ce serait une approche plus durable, puisqu’il s’agit d’une essence à la durée de vie de 80 ans.

« Rita films Stephanie » par Rita Leistner

Les arbres peuvent contribuer à lutter contre les changements climatiques en séquestrant le carbone. Mais pour y arriver, il en faudra des milliards, et les planter est un travail harassant. ~Rita Leistner

Rita : Le film porte sur les planteurs d’arbres et non pas sur l’industrie, mais les deux évoluent. La plantation d’arbres n’était pas une carrière avant la mécanisation de la foresterie, dans les années 1960, qui a donné lieu à une nouvelle prise de conscience à propos de la menace qui pèse sur les forêts. Le travail est en train de passer d’une activité purement liée à la foresterie à un symptôme de l’époque anthropocène, pour devenir une solution pour faire face aux changements climatiques. Les arbres peuvent contribuer à lutter contre les changements climatiques en séquestrant le carbone. Mais pour y arriver, il en faudra des milliards, et les planter est un travail harassant.

Comment les planteurs composent-ils avec la rigueur physique du travail?

Ils pleurent souvent. Un dicton dit que tout le monde pleure dans le lot de coupe.

Il faut être assez tenace pour que ce que nous en retirons vaille la douleur et l’inconfort, car ils sont intenses.

Cela dit, réaliser un film est aussi excessivement exigeant. Après la plantation d’arbres, j’ai passé 20 ans comme photographe documentaire, mais il s’agit de mon premier film. Je voulais qu’il établisse un rapprochement entre ces deux parcours. Une forêt se plante un arbre à la fois, et un film se tourne un plan à la fois. Les deux doivent valoir la peine.

Une forêt se plante un arbre à la fois, et un film se tourne un plan à la fois. Les deux doivent valoir la peine. ~Rita Leistner

Crédit photo : Rita Leistner

Vous photographiez à l’extérieur, mais les photos montrées dans le film (et dans le livre d’accompagnement) sont éclairées comme des prises de vue en studio. Qu’est-ce qui justifie vos décisions esthétiques?

J’ai toujours été attirée par la lumière. J’ai effectué une bonne partie de mon apprentissage comme éclairagiste dans l’industrie cinématographique. Même lorsque je travaillais dans les zones de guerre, en Iraq par exemple, j’étais la seule photographe à me servir d’un flash portatif. J’allais à l’encontre des conventions de la photographie documentaire et du photojournalisme, qui misent sur la lumière naturelle, mais ça m’était égal. J’aime avoir le contrôle sur l’esthétique de ce que je regarde grâce à l’éclairage.

Quand je travaillais dans les zones de guerre, j’étais limitée, puisque je ne pouvais transporter qu’une petite quantité d’équipement. Lorsque j’ai été prête à tourner ce documentaire, j’étais ravie de pouvoir utiliser les projecteurs les plus gros et les plus dispendieux. Il s’agissait d’un effort sans retenue pour employer, dans un environnement extérieur difficile, les techniques de studio que j’avais perfectionnées.

Je voulais reproduire l’allure des personnages héroïques dans les peintures classiques. Et je voulais absolument que ce soient des photos d’action ~Rita Leistner

Je voulais reproduire l’allure des personnages héroïques dans les peintures classiques sans agir sur l’environnement. Et je voulais absolument que ce soient des photos d’action. Cependant, le terrain était difficilement praticable et nous nous déplacions constamment. Quelqu’un devait donc tenir les projecteurs. Mon assistante n’avait pas besoin de savoir quoique ce soit à propos de la photographie, mais elle devait être forte physiquement, rapide et disposée à travailler d’arrache-pied parce que nous allions courir à reculons dans les lots de coupe et ne jamais dormir suffisamment.

Stephanie : C’était moi.

« Stephanie Sinclair » par Rita Leistner

Quelles difficultés concrètes les décisions esthétiques ont-elles occasionnées?

Rita : Les défis ressemblaient à ceux que rencontrerait un photographe sportif. Aussi, puisque le temps c’est de l’argent, et que les planteurs sont rémunérés au nombre d’arbres mis en terre, nous ne voulions pas les ralentir. Nous avons dû les convaincre que nous ne les gênerions pas.

Parfois, je pouvais photographier pendant une semaine et ne rien obtenir de satisfaisant. Mais dans ces circonstances, lorsque je réussissais à prendre une bonne photo, j’étais prise d’un enthousiasme exceptionnel. Mon galeriste, Stephen Bulger, dit que certaines personnes qui voient mes photographies s’exclament : « Oh, je pourrais faire la même chose ». Il leur répond : « Je vous assure que non ».

Stephanie : Même l’accès posait problème. Seulement pour nous rendre sur les lieux, nous devions parfois marcher cinq kilomètres sur des routes détrempées et passer à travers d’énormes flaques d’eau, enfoncées dans la boue jusqu’aux genoux, en portant de l’équipement lourd. S’ensuivait une journée complète de tournage.

Seulement pour nous rendre sur les lieux, nous devions parfois marcher cinq kilomètres sur des routes détrempées et passer à travers d’énormes flaques d’eau, enfoncées dans la boue jusqu’aux genoux, en portant de l’équipement lourd. S’ensuivait une journée complète de tournage. ~Stephanie Sinclair

Rita : Nous avons également pris des photos ainsi que des photographies à intervalle de la forêt et du ciel nocturne à environ 50 kilomètres du camp. C’était dangereux d’ailleurs, en raison des cougars et des ours.

Stephanie : Et il faisait excessivement froid.

Rita : L’expérience était magique et inoubliable. Et aussi vraiment difficile. Le film renferme une scène de l’une de ces nuits.

Qu’ont dit les planteurs lorsque vous leur avez demandé de participer au film?

Rita : La première question que tous ont posée était : « Avez-vous déjà planté? » « Oui. Pendant 10 ans. Et j’ai été photographe de guerre ». Ils répondaient : « D’accord, nous vous laisserons peut-être l’occasion ».

L’important, c’est de gagner leur confiance. Le seul moyen de gagner la confiance est d’être digne de confiance, ce qui prend du temps à prouver. Le fait que j’ai planté avec le propriétaire, Garth Hadley, vers la fin des années 1980 nous a été utile. Il est dans l’industrie depuis toujours alors tout le monde le respecte.

Stephanie : La seule raison pour laquelle nous avons réussi, c’est que Rita était sincèrement respectueuse et voulait entendre leurs histoires.

La seule raison pour laquelle nous avons réussi, c’est que Rita était sincèrement respectueuse et voulait entendre leurs histoires. ~Stephanie Sinclair

Rita : Cette confiance est importante pour éviter que les gens se censurent. Ils doivent avoir la confiance que leurs histoires sont utilisées à bon escient. En quatre ans, seules deux personnes ont refusé de se faire prendre en photo, mais les deux ont changé d’avis par la suite.

Est-ce que ça vous manque?

Stephanie : Oui. Je crois que c’est le cas pour tout le monde.

Rita : Certains éléments me manquent. Au meilleur de mon passage en plantation d’arbres, à la fin des années 1980, j’étais dans une forme physique inégalable. Mon record personnel s’élève à 6 000 arbres mis en terre en une journée. Je m’ennuie de l’air frais, de l’exercice et de l’esprit de communauté, mais j’en ai certainement fini avec la plantation à présent. (rire)

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